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A propos de la photographie officielle du nouveau président

Photo Officielle du Président de la République 

Devant la photographie du Président Emmanuel Macron je me demande comment un photographe professionnel a pu oublier de cette façon les fondamentaux de son métier ? Mes critiques n’ont rien de politiques. Sur les points essentiels j’approuve l’action du nouveau président et sans être vraiment militant j’ai fait parti de ceux qui ont soutenu « En Marche ! ». Mon point de vue sur cette image est celui d’un photographe, qui sans être vraiment professionnel connaît plutôt bien les fondamentaux de ce métier.

 

Ce que je reproche à cette image :

1 – La présence des deux montants de la fenêtre qui, associés à la cravate du président découpe l’image, dans un parallélisme parfait, en quatre bandes verticales pratiquement d’égale grandeur. D’abord d’un point de vue artistique, c’est vraiment désolant. Ensuite l’insistance sur la verticalité est beaucoup trop lourde. Elle donne un aspect caricatural à l’effet recherché, celui, sous-entendu,  de la rigueur et de la verticalité du pouvoir présidentiel, tel qu’il entend l’exercer. Elle en réduit la portée car elle apparaît comme une erreur au niveau de la composition de l’image.

2 – Le visage du président se trouve situé exactement à l’intersection de deux lignes. En effet, ses bras prolongent le dessin des arbres, et, finalement, son visage semble posé là, exactement à l’intersection des deux lignes courbes formées par le profil du feuillage des arbres et ses bras, comme sur un tableau réalisé avec des découpages et des collages.

3 – Le ciel, un triangle lumineux qui semble sortir de la tête du président accroche beaucoup trop le regard. A cela s’ajoute la chemise coupée en deux par la cravate. Le tout ne fait que renforcer l’impression d’un montage par découpage et collage.

4 – En fait, il y a dans cette image beaucoup trop de symétries. Elles mettent en exergue une composition outrancière, et engendrent un véritable malaise dès le premier regard.

5 – Le drapeau européen est coupé. On n’en voit que trois étoiles et deux moitiés. En général, il n’apparaît pratiquement jamais entier, c’est un fait. Mais, justement, dans ce cas précis,  où la composition est réglée avec une minutie d’horloger, de façon très évidente, beaucoup trop évidente, ce détail peut engendrer un questionnement sur cette présentation du drapeau européen. Le drapeau français est lui aussi coupé mais ce n’est pas gênant. Ses trois couleurs sont visibles, il reste le drapeau français. Par contre dans une telle surenchère de soi-disant « symboles », cette présentation du drapeau européen peut, elle aussi, en devenir un, porteur d’un message.

 

Une photographie ne se construit pas comme un tableau de peinture, même si les deux formes d’expression artistique possèdent des codes communs. Le peintre réalise lui-même entièrement son tableau dans les moindres détails. Par contre, le photographe, lorsqu’il compose son image en organisant la présence des éléments qu’il veut y voir, doit savoir, et ne pas oublier, que cette image ne sera qu’une empreinte de la réalité, même si cette réalité est organisée, plus ou moins construite. J’insiste sur le caractère plus ou moins construit de cette réalité car l’assemblage des éléments que le photographe ou le donneur d’ordre veut voir sur l’image ne peut pas se faire comme sur un dessin ou un tableau peint. Il s’en dégagera toujours l’impression d’un oeuvre inachevée. Ici, au premier coup d’œil, on a le sentiment que le photographe s’est abandonné à une espèce de frénésie, et a totalement oublié la nature des éléments qui composent la scène. Or, « le référent adhère » (Roland Barthes)[1]. Bien sûr, les possibilités offertes par le numérique paraissent illimitées et les deux formes d’expression que sont la peinture et la photographie semblent se rejoindre. Mais, en fait, elles ne peuvent pas se rejoindre, notamment lorsque l’image voulue doit vraiment rester une photographie. Dans certains espaces d’expression réservés, vraiment très réservés, ce rapprochement constitue une forme d’expression artistique, qui, et je tiens à le souligner, n’est pas nouvelle. Elle a été expérimentée dans le cadre du Bauhaus quelques décennies avant l’apparition du numérique. Mais, pour la majorité des images de conception photographique, c’est-à-dire toutes celles destinées au grand public, ce rapprochement n’est pas possible. Par exemple, en ce qui concerne l’image en question, pour que finalement celle réalisée soit toujours une photographie notamment d’un point de vue juridique, le photographe a pu, par exemple, ouvrir la fenêtre mais il n’en a pas changé les dimensions, ni la forme, ni la couleur. Il ne pouvait pas non plus modifier la forme ou la couleur du feuillage des arbres qui apparaissent à travers la fenêtre. A mon avis, le contraste entre le visage du président et le feuillage des arbres a été très mal maîtrisé et l’effet est surprenant : le visage du président semble projeté en avant. Le graphisme engendré par le profil de ce feuillage que prolongent les bras du président (ma deuxième remarque), s’associe à ce contraste et accentue l’impression que l’image est un montage. Je dirai même un montage à caractère surréaliste. Le contraste entre le visage du président et le feuillage des arbres me paraît donc excessif et, à lui seul, il donne déjà à l’image un caractère irréel. Avec le numérique, encore une fois, le photographe n’est, certes, plus tributaire de la sensibilité choisie comme il l’était pour les 36 poses d’un film argentique, mais, sur chaque cliché, ce qu’on appelle le contraste, c'est-à-dire les écarts de luminosité entre les plages voisines, reste encore difficile à maîtriser, malgré les interventions en phase dite de postproduction, ce que la majorité des gens considère comme des retouches mais qui n’est en fait qu’un travail nécessaire pour corriger les défauts de la prise de vue. Je pense qu’elles ont été importantes mais peut-être maladroites. En fait, Amsel Adams, grand maître de l’argentique, maîtrisait mieux le contraste avec son zone-système que nous ne pouvons le faire avec le numérique. La souplesse d’adaptation de la sensibilité qu’apporte le numérique ne permet pas encore de reproduire exactement ce que l’œil humain voit.

N’oublions pas que l’empreinte photographique n’a que deux dimensions, qu’elle ramène la profondeur à une illusion, qu’elle s’exonère aussi des contraintes qui pèsent sur les autres empreintes, comme celle d’une chaussure dans la boue, puisqu’elle peut être reproduite facilement en modifiant les deux dimensions qu’elle conserve, mais, malgré cela d’un point vue scientifique, elle reste une empreinte. Les conséquences sur l’interprétation sont énormes. En photographie, la saisie de l’empreinte et sa reproduction s’effectuent, en général, par une suite de modifications importantes des dimensions. Elles ont des incidences notamment sur la luminosité et ses rapports entre zones voisines. Il faut ajouter à cela les effets optiques de l’objectif choisi qui peuvent parfois être très importants, et jamais négligeables. Il y a sur cette image un effet « grand-angle » léger, mais déjà sensible. La photographie a du être faite avec l’équivalent d’un 24 mm pour le 24 x 36, éventuellement un 28 mm, pour préserver une profondeur de champ suffisante. A mon avis c’est une erreur.

En photographie il faut savoir faire des choix et ne pas composer son image comme un tableau de peinture dans lequel l’artiste peut mettre où il veut tout ce qui lui passe par la tête en le réinventant à sa guise. Les objets que le photographe met en scène, eux, sont réels, bien réels. Ils restent ce qu’ils sont. Les interventions en phase de postproduction ne peuvent pas en modifier la nature.

En conclusion, le photographe doit apprendre à « composer » avec les éléments qu’il veut voir sur son image et faire preuve de modestie dans leur mise en place et sur leur nombre. Par exemple, les détails relevés ci-dessus font de « l’ombre » aux livres et aux smartphones posés sur le bureau. Pour la majorité des gens ils ne seront pas « visibles ». De même, le fait que la pendule soit partiellement cachée réduit considérablement la portée de sa présence.  Les rapports entre les éléments sont souvent difficiles à prévoir et à contrôler. En faisant à nouveau référence à Roland Barthes j’ajoute qu’en photographie les signes ne prennent pas bien, ils tournent comme du lait[2]. La photographie ne produit que des effets. Elle ne s’interprète pas comme l’écrit s’interprète par le biais de la lecture, avec toute la rigueur des représentations conventionnelles. Le message éventuel du photographe, ou du donneur d’ordre, ne repose que sur des effets culturels, ceux que ses images peuvent produire notamment par leurs rapports à l’espace et au temps. Cependant la réalité offre aussi d’immenses possibilités de réaliser des images surréalistes sans la moindre manipulation. Elle devient ainsi, quand le photographe le veut, une formidable source d’inspiration créatrice, mais seulement pour des images destinées à des espaces d’expression artistique. Ce n’est pas le cas pour une photographie d’un président de la République destinée à un affichage dans les mairies et les préfectures. Or, je crois que sur celle-ci, le message est sérieusement parasité par une composition outrancière qui n’a pas su anticiper les effets des éléments dans leur association au moment de la mise en scène. Le photographe doit toujours et impérativement conserver un sens aigu des réalités.

Mais, de nos jours, quel est vraiment l’intérêt de cet affichage ? Combien de nos concitoyens prêteront attention à cette photographie ? Et, heureusement, le ridicule ne tue pas.



[1] « La chambre claire » - Coédition Cahiers du Cinéma, Gallimard, Seuil 1980

[2] Toujours « la chambre claire »